Le premier dessin existant que j’ai pu retrouver de ma
cabane date du 7 octobre 2010. C’est une forme simple de dôme allongé qui
découle certainement à la fois des gravures de demeures indiennes en branches fichées
dans le sol et de la forme la plus simple que l’on peut projeter d’un
toit : deux triangles fichés dans le sol et reliés par une panne centrale
au sommet. Cette idée de toit, c’est le concept de base, je pense, de ma
réalisation. Quoi de plus fondamental et universel que cette forme triangulaire
pour désigner un abri ?
Cette image représente une cabane de berger - elle ne m'appartient pas
Après avoir cherché quelque peu les moyens les plus économiques de construire une telle coquille (béton armé fin, agglomération de détritus, etc…), mon choix de matériau a été assez peu audacieux : le bois, je l’aimais, je savais à peu près le travailler; et s’il fallait démonter la structure, autant utiliser des vis. Le choix était fait! Il faut dire que mes choix ont toujours été dirigés par l’économie; la taille et la forme seraient dépendantes des matériaux que je pourrai trouver ou acheter au prix le plus bas. On pourrait dire que ce manque d’audace est indigne d’une pratique artistique; que j’aurais pu réaliser une maquette idéalisée plutôt qu’un vrai abri; que j’aurais même pu le peindre sur papier si la maquette était encore trop coûteuse. Je ne crois pas, non. L’objectif de cette réalisation était avant tout de me proposer une expérience et de la partager; de partir de ma table à dessin et de l’étendre tout autour de moi, en milieu « hostile » - l’extérieur.
Le matériau essentiel, dans mon esprit, était la tôle ondulée ; j'imaginais un abri d'une quinzaine de mètres environ...
Mon intérêt se dirigea donc naturellement vers les
charpentes traditionnelles (assemblage poteau-poutre) et vers la compréhension
de cette mystique mécanique des tensions et des poids. La charpente de Mansard,
dite aussi « Mansarde » ou « à la Parisienne » me
semblait la plus apte à remplir cette forme de dôme – en dehors du dôme parfait
et classique de Buckminster-Füller qui lui me semblait trop simple et sans
doute trop consensuel dans une école d’art à cette époque précise. Il s’agit d’un
quasi-arc-de-cercle formé par deux pentes plutôt qu’une (les contrefiches
rejoignent la ligne, appelée brisure, entre ces deux pentes. En donnant à cette
forme trois pentes (deux brisures) et en croisant six de ces arches de manière
orthogonale j’obtins une forme de quasi-dôme, très difficilement représentable
en dessin. Dès lors je me doutai que l’absence de murs perpendiculaires par
rapport au sol serait problématique pour le confort et réduirait l’espace
général. Mais qu’importe, j’étais impatient, et c’est avant tout cette image de
coque de bateau renversée que l’on a en déambulant sous une toiture que je
désirais à la base.
Mes démarches avec les professeurs et l’administration
commencèrent. Les encouragements de Séverine* me furent très précieux à ce
moment précis. Je montai un projet nommé « Coquille », qui se
définissait ainsi : l’enveloppe de la structure serait défendue selon des
données sculpturales; l’intérieur aurait la vocation d’un espace privé dont je
disposerai seul, et où je fixerai mes propres règles. Je pris mon mètre
déroulant, me mesurai, calculai la taille minimale dont j’avais besoin et tentai
de la faire rentrer dans les vingt mètres carrés au sol réglementaires en
France pour s’abstenir d’une demande de permis de construire. Je fabriquai une
petite maquette échelle 1/10ème en carton assemblée avec des
encoches (ce sera toujours mon assemblage favori, je crois), que je peignis
soigneusement en bleu lagon. Julie
me dit que ce serait « trop bien » si la cabane était finalement
bleue. Je répondis : « Non, pas question. Le bleu c’est trop
moche ». Etrangement, cette maquette aurait du me donner une vue
d’ensemble de l’esthétique « futuriste » de ma future cabane; et
pourtant je m’abstins de tout jugement critique vis-à-vis de cette forme que
j’avais conçue. Rétrospectivement, je me demande pourquoi. Sans doute la peur
d’une trop grande recherche, d’un trop grand coût physique, la peur de revenir
en arrière. Voilà qui m’apprendra à être exigeant. Je montai un dossier très
rapidement pour demander les 200€ dont je croyais avoir besoin.
La belle maquette bleue en question
Malheureusement aucune réponse ne me parvint. Alors en attendant, sûr de moi, je creusai les « fondations » par une température de -10°C, dans une terre gelée. Quel imbécile. Au sujet de ces fondations, ne jamais faire ce que j’ai fait si l’on souhaite une stabilité garantie sur la durée. Il s’agit de parpaings enterrés à moitié dans un sol que j’avais retourné et nivelé au préalable. Puis j’avais re-nivelé tous les parpaings entre eux au moyen d’une règle de maçon, d’un peu de sable et d’un bon niveau à bulles. L’usage le plus viable et le plus économique aurait été de couler une vingtaine de plots formés de deux trapèzes, la partie inférieure du plot permettant à celui-ci de ne pas se déplacer de haut en bas dans la terre meuble sous la pression du givre et de l’humidité. Seulement le coût de ce béton armé - et son transport - étaient déjà trop grands pour moi. Et franchement, je n’aime pas le béton.
Toujours pas de réponse. Je collectai des planches qui traînaient par-ci par-là, je démontai des palettes. Cela me permit de construire la partie supérieure de mon toit mais pas plus. Le temps est désespérément long quand on attend une réponse décisive et qu’on a tout mis en oeuvre. A ce moment précis, j’aurais pu entrer dans une colère noire et prendre possession de tout ce que j’avais sous la main pour me construire un abri, mais je ne l’ai pas fait. Je préférai attendre pour faire quelque chose de « propre », pour une fois. Etait-ce une bonne décision, je me pose encore la question. Toujours-est-il que je décidai d’enfoncer les portes (ouvertes) de l’administration de l’école. « Tu es en quatrième année, tu n’as pas le droit à un budget », me dit-on. Mais j’insistai. Les matériaux que j’avais commandés ne seraient plus disponibles très longtemps à Brico Dépôt et Yann* n’était disponible que le lendemain pour m’y amener en camion. Alors sous cette menace, je signai un contrat avec le diable : je devrai rembourser à l’école l’intégralité de la somme allouée si mon passage en cinquième année n’était pas admis. Pour un lecteur extérieur au milieu des écoles d’art il faut savoir qu’un budget limité est donné aux étudiants pour passer leur diplôme. Cela peut sembler injuste, et ça l’est peut-être. Mais l’or du contribuable échoue dans des alcôves bien moins glorieuses. Bref, me voilà condamné au succès ou à la banqueroute. Et je me ravis maintenant de cette mésaventure qui aura suscité plus de débats au sein de l’école que la mort de l’Art.
C’est ainsi
qu’après un rapide passage au temple de la bricole du dimanche je me retrouvai
les bras chargés de six bastaings de trois mètres, quatre chevrons de quatre
mètres et d’une cinquantaine de mètres carrés du matériau le moins cher que j’eus
pu trouver à l’époque : le revêtement stratifié imitation peuplier. Il
s’agit de planches de 6mm d’épaisseur à assembler les unes aux autres, faites
de feuilles de papier kraft agglomérées avec de la résine et recouvertes d’une
pellicule plastique sur laquelle est imprimé un faux motif en bois conçu sous Photoshop.
Vous en avez probablement chez vous, plaquées au sol. Ce matériau totalement
dénué d’intérêt (si ce n’est sa relative solidité et sa relative résistance à
l’eau) me permettrait d’esquisser la forme de ma cabane en formant de grands
plans vissés sur ma charpente. En parlant de cette charpente, il me fallut
moins d’une semaine pour lui donner sa forme définitive, à grands coups de
scie-sabre et de vis Thorx de 120 et
90cm. C’est dire s’il est simple d’arriver à quelque chose de concret (et c’est
peut-être la chose la plus concrète de la partie extérieure) du moment qu’on a
les matériaux sous la main. C’est à ce moment précis que je pus considérer avoir
réalisé un espace existant.
Pour parler bien franc, la plupart des bois sont tordus et en mauvais état - mais ça tient!
Mais je vais trop vite en besogne : sur les parpaings
que j’avais placé au préalable (et qui évidemment avaient bougé à cause du
changement de température), je posai vingt palettes de format 120x120cm (de
bonnes et robustes palettes de récupération qui servaient à recevoir des barils
de pétrole – elles sont d’ailleurs estampillées TOTAL). Les palettes une fois
vissées entre elles accueillirent des planches d’OSB 1 gracieusement payées par
l’atelier volume (copeaux agglomérés en planches peu résistantes à l’humidité)
qui permirent de former une estrade solide - qui d’ailleurs servit pour un
joyeux évènement. Bref. Ces planches solidarisèrent mon plateau et me fournirent
un sol sur lequel m’appuyer. Ensuite vint la construction de trois arches
identiques, qui me donneraient mes deux murs principaux inclinés à 80° par
rapport au sol. Etienne* et Yann* m’aidèrent à les soulever et à les visser au
sol. Il ne me restait plus qu’à les assembler dans les encoches du reste de la
charpente, à les boulonner et à les visser. Les extrémités de ces arches sont
les points de tension principaux de la structure : comme il n’y a aucun
pilier orthogonal au sol, toutes les forces sont exercées depuis les pieds en
direction de la première ligne de brisure, qui détermine le commencement de mon
« plafond ». C’est sur le plan horizontal précis de cette ligne que
se trouve mon quadrillage ou « solivage » le plus important. Grâce à
celui-ci, chaque ligne est continue de gauche à droite et de haut en bas et
ainsi aucun élément de charpente ne fonctionne indépendamment d’un autre. Ces
histoires de pression et de tension m’amènent à célébrer la sculpturalité d’une
simple forme de charpente, et justifient ainsi mon intérêt pour celle-ci. Nous
l’avons éprouvé non sans satisfaction avec Pierre* en montant dessus et en la
secouant sans que rien ne tombe ou ne craque.
Si la charpente fut un exercice de relaxation, la couverture
de celle-ci eut le mérite de m’agacer profondément. Je ne conseillerai à
personne d’opter pour le stratifié comme ersatz de couverture. Il me fallut
presque un mois entier pour couvrir les 9/10ème de ma charpente. Et
cela à cause d’une grande démotivation quant à la difficulté d’assembler ces
planches verticalement, de les couper proprement, de les visser rythmiquement (quatre
vis par planche au minimum = environ 8000 vis à placo). Et aussi sans doute à
cause des remarques – très justifiées – que l’on me fît sur l’esthétique très
« science-fiction » de la cabane et sur les comparaisons amusantes
entre moi et Jean-Claude Ladrat, l’homme de La
Soucoupe et le
Perroquet (émission Strip-Tease sur
France 3) qui construisait sa propre soucoupe volante en bois. Je ne blâme en
rien mes amis pour m’avoir révélé une vérité qui était si évidente que je ne
l’avais pas vue: j’avais construit un volume aux antipodes de ma volonté;
j’avais sculpté en aveugle, dicté par mon impatience. Cet état de choses renforça
ma solitude, que j’avais incarnée dans cette cabane. Cette solitude, je n’en
voulais plus et j’étais fatigué.
Jean-Claude, sa soucoupe, sa mère, un ami et son chien - laissez-les tranquilles
Au début du mois de juillet 2011 se présentèrent un
journaliste curieux et une jolie photographe. Charmé, j’acceptai une interview
de quelques minutes dans ma cabane et un shooting photo sous mon meilleur
profil. C’est le lendemain, sur le chemin des vacances, que je découvris la
trahison : le journaliste avait transcrit mes propos en me faisant parler
comme un charretier, en réinventant mon enfance, en faisant des fautes
d’orthographe (honte à lui, remarque) et en m’affublant du sobriquet de « Castor
des Berges du Nil » (article ci-dessous). S’il est interdit de porter
atteinte à la liberté de la presse, peut-on au moins entraver sa bêtise?
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